Une paire de baskets, un short et un tee-shirt, il n’en faut pas plus pour faire un "Five". Le rendez-vous est donné sur le terrain 4 de l’Urban Soccer Lyon Parilly, où un groupe de dix joueurs se rejoint tous les jeudi soir après le boulot. En cas de désistements, pas de panique, du sang neuf est vite trouvé via un groupe Facebook nommé explicitement "Foot Five Lyon", où les lapins sont parfois comblés moins d’une heure avant le début des sessions. Sur le bord du terrain, certains se connaissent bien, de vue ou alors pas du tout. Qu’importe. Maillots de l’OL, de l’Equipe de France, du Real Madrid ou du club local d’untel cohabitent ensemble. Une fois la session précédente achevée, faut y aller : c’est parti pour une heure et demie de 5v5, avec un gardien et quatre joueurs de champ dans chaque équipe.
L’atmosphère est amicale, mais sur le terrain ça se la donne. L’organisateur du match raconte : "On joue une fois par semaine", et ça se voit. Le jeu est sérieux, fluide mais laisse toujours place à un peu de fantaisie. Quand certains joueurs optent pour le contrôle-passe, d’autres se prennent pour Ronaldinho prime (avec plus ou moins de succès) en enchaînant les séries de dribbles. Mais contrairement au foot à 11, les conditions de jeu le permettent au five : le ballon est un taille 4, le terrain est plus petit et fait en général 25x15 mètres, les barrières font qu’il n’y a pas de sortie et que l’on peut jouer avec les murs comme dans "Foot2Rue" : "C’est ce que j’apprécie le plus, ça permet au jeu de ne jamais s’arrêter. Tu kiffes avec tes potes, tu peux dribbler, rigoler et prendre du plaisir même dans une surface qui est plus petite qu'un terrain à 11", explique Mattéo, joueur occasionnel.
Le 5v5 évoque ce football de cour de récréation ou de quartier. Là où le petit pont a plus de saveur qu’un simple but marqué. Où les plus grands techniciens du football traditionnel ont fait leurs armes. "Quand tu fais un five tu travailles ta technique, mais aussi ta vitesse de réaction parce que les espaces sont plus petits que sur un grand terrain donc tout va plus vite. Il faut vite analyser les situations", poursuit Mattéo.
Un jeu libre établi par des règles précises
Retour au jeu. Les buts s’enchaînent sur des actions qui alternent attaques placées, exploits individuels et contres fulgurants. Les cages thoraciques brûlent et ceux qui veulent souffler un moment passent aux cages. La rotation est bien précise puisque le gardien de chaque équipe change à chaque but, ou par intervalles de 5 minutes. Le portier a un espace délimité par une petite surface de réparation dans laquelle il doit rester, pour éviter les sorties excessives à la "Manuel Neuer 2014" coupant les transitions rapides des adversaires. Compte tenu du dynamisme du match, le nombre de buts n’est pas compté en score, mais en différence, selon une avance à préserver (+1, +2, +3 et ainsi de suite). D’ailleurs, à la fin du match, on ne sait plus vraiment où on en est. En fin de compte, le jeu prime sur l’enjeu.
Les murs qui bordent l’aire de jeu ne montent pas jusqu’en haut. Le reste est entouré par des filets sur les côtés, derrière le but et en haut. Si le ballon le touche, c’est remise en jeu pour le gardien adverse. C’est la seule sortie de but possible. Enfin, l’excuse du terrain n’est pas valable : toutes les aires de foot à 5 sont en gazon synthétique, dont la surface façon moquette rappelle le city stade communal. Ceux de l’Urban Soccer ont été remplacés il y a quelques mois : "Comme c’est du neuf ils adhèrent trop, je préfère les anciens", souffle un habitué des lieux.
Bastion du "Tcheks Play"
Créé au Brésil dans les années 1940, ce principe du foot à 5 s’est particulièrement exporté en France dans les années 2000. A Lyon, il fait un carton avec deux leaders en la matière : Urban Soccer avec bientôt trois sites (Parilly, Brignais et Dardilly) et le Five de Décines. Les deux entités détiennent 40% des terrains de France et captent deux tiers du marché en valeur, les autres 60% étant sous la responsabilité de structures indépendantes. A Parilly, le succès est vite mesurable : dès l’arrivée, les parkings sont pleins et les 14 terrains (dont trois à l’extérieur) sont la plupart du temps occupés. Possibilité d’acheter des chaussures dernier cri, télés avec les matchs en direct retransmis, vestiaires avec douche… Tout est pensé autour du football, pour que chaque joueur se mette en condition comme s’il allait disputer le match de sa vie.
Que ce soit à l’Urban, à Sport dans la Ville à Vaise, à la plaine des jeux de Gerland ou sur un bout de sol faisant office de terrain improvisé, Lyon vit au rythme du football de rue, dont la version structurée découle sur le "five". Cette nouvelle culture serait en partie moteur d’une philosophie de plus en plus portée fièrement par tous les amateurs de football français : le "Tcheks Play". Ce terme d’argot dérivé du mot quartier en "tieks" puis "tcheks play" pour que tout le monde se l’approprie, est devenu une trend sur TikTok par son inventeur de son pseudo "La Maniane", ancien joueur amateur du Paris 13 Atlético (ex-Gobelins). Il définit selon lui un style de football ultra-complet adopté par l’école française, qui réunirait en un les attributs du joga bonito brésilien, du tiki-taka espagnol et du kick and rush anglais. Avec le plaisir comme base de ce courant de pensée, en opposition à un football moderne moins spectaculaire et moins favorable à l’émancipation du style de jeu propre à chaque joueur.
C’est avec la volonté de jouer son propre football que de plus en plus de joueurs se tournent vers le five. Plus de vingt ans après son arrivée et son développement dans l’Hexagone, le foot à 5 bâtit peu à peu son folklore. Avec 250 centres et 1000 terrains référencés par la FFF, le "five" attire près de cinq millions de pratiquants, dont trois millions de joueurs réguliers (chiffres de 2022), dont une bonne partie qui se rabattent vers ce type de football pour l’absence de contraintes du football de club (horaires, week-ends pris, régularité des entrainements). Bref, le fait de jouer quand on veut, où on veut, avec la notion de plaisir qui prime sur celle du résultat pur.
T.J.